Mars
1967.Ses yeux étincelaient d’une impatience brûlante tandis qu’Eve refermait derrière elle la lourde porte du salon qui grince. L’enfant grimaça, suspendant son geste avant de s’appliquer consciencieusement à clore dans le silence le plus complet possible le pan de bois. Le salon des Millerfield était vide, du moins la fillette le supposait justement, attentive au calme du lieu qu’elle explora rapidement dans chaque recoin. Elle voulait être sûre qu’elle était seule – elle ne pouvait pas prendre le risque que ni son père ni sa mère ne la surprennent. Est-ce que ce qu’elle faisait était vraiment mal, était-ce une bêtise ou bien plus grave que cela ? Sa conscience d’enfant n’était pas encore capable de le prédire. Tout ce qu’elle savait, en son for intérieur, c’était qu’elle n’était pas normale. Et qu’elle ne devait vraiment pas faire en sorte que cela s’ébruite.
Eve soupira, soulagée de constater qu’elle était définitivement seule et que personne ne débarquerait pour le moment. Elle avisa la cheminée qui trônait contre le mur central du living-room, le regard teinté d’anxiété et d’appréhension. Elle était persuadée de pouvoir réussir à nouveau.
La dernière fois, c’était simplement parce qu’il y avait eu maman qui allait arriver que ça n’avait pas marché se rassura t-elle.
La petite s’agenouilla face aux bûches froides entreposées dans l’âtre éteint, prenant son courage à deux mains tandis qu’elle concentra toute son attention sur le bois. Penser au feu, imaginer l’élément terrifiant naître dans le creux des cendres pour reprendre vie, le faire éclater en une gerbe flamboyante. Ses petits poings se serrèrent, son regard s’intensifia tandis que rien ne se passait.
Elle avait trop peur. Les flammes avaient toujours provoqué chez elle cette réaction quasi-épidermique qu’elle craignait et cherchait en même temps. Eve n’avait jamais su d’où cette capacité lui était venue – elle avait simplement déjà provoqué l’incident une fois en classe, son cartable d’écolière ayant commencé à prendre feu pour une raison que personne n’avait su expliquer et ses parents n’ayant d’ailleurs jamais été tenus au courant. Le flot de ses pensées confuses s’égara, ses yeux regardant sans voir la cheminée. Elle était bizarre, trop bizarre pour être normale,
et si papa et maman l’apprenaient, est-ce qu’ils voudraient encore de moi, ils me mettraient à l’orphelinat, ou alors ils m’abandonneraient, c’est horrible, je ne veux pas –« Eve ?! » Un bruit l’arracha de ses pensées, un crépitement anormal, une chaleur soudaine la rattrapa. La petite fille poussa un cri, apeurée : tout autour d’elle, le tapis avait commencé à brûler, dessinant l’amorce d’un cercle presque parfait. Son père, Celian, alerté par le bruit et l’odeur âcre de la fumée, venait d’arriver à ce moment-là. Elle le dévisagea, paralysée par la peur.
« Papa ! » se mit-elle à pleurer, tremblante comme une feuille.
« C’est pas m-moi, c’est pas moi ! J’suis pas un monstre ! »Elle n’eut même pas le temps de réellement comprendre ce qui se passait : de nulle part, il sortit quelque chose de sa poche – une
baguette apprendrait-elle plus tard – et l’agita dans les airs, faisant s’évaporer presque instantanément le début de flammèches qui la cernait. En deux temps trois mouvements, ses bras cueillirent la fillette en pleurs. Elle était encore trop secouée pour comprendre ce qu’il lui dirait, mais s’il y avait une chose qu’il fallait qu’Eve retienne, c’était qu’elle était tout sauf un monstre.
***
Septembre
1970.
Dans un des wagons du train à vapeur qui serpentait entre les collines écossaises, un petit regroupement de premières années babillait joyeusement, excités comme des puces à l’idée d’arriver enfin au fameux Poudlard dont ils avaient tant entendu parler.
Une première fillette, assise à la droite d’Eve, semblait la plus inquiète de la troupe. Elle ne cessait de bombarder les autres d’interrogations toutes plus révélatrices les unes que les autres sur l’état de fébrilité dans lequel elle se trouvait.
« Vous savez comment ça va se passer là-bas ? » La dénommée Harriet avait pourtant une demi-douzaine de livres à côté d’elle qui s’entassaient et relataient tous diverses histoires magiques, mais visiblement aucune lecture n’était parvenue à satisfaire sa curiosité.
Un garçon assis face à elles piocha une Chocogrenouille avant de la déballer tout en répondant.
« Je sais pas. Mon grand-frère m’a dit qu’il paraît qu’on va devoir passer une sorte d’épreuve très dangereuse et qu’il faudra utiliser la magie ! » Son voisin, un petit blondinet au visage tout rond, secoua la tête en riant – il avait l’air d’être celui qui savait le plus de choses à propos de l’école de sorciers britannique, ce qui lui donnait automatiquement le monopole de la vérité dans le compartiment.
« Mais nooon c’est n’importe quoi ! Il t’a raconté des salades ! » Eve tenta un petit sourire réconfortant à sa camarade et confirma les paroles du garçonnet.
« Mon père m’a dit qu’il y avait une espèce de chapeau qui parle à mettre sur la tête. Et qu’il décidait de la maison où on serait répartis. » Le blondinet approuva également d’un petit signe, reportant son attention sur la jeune Millerfield qu’il observa très attentivement.
« Et toi, tu veux aller où ? » Une question épineuse. Eve n’avait pas tout à fait cerné les lourdes traditions et valeurs qui incombaient à chacune des Quatre Maisons de Poudlard ; pour ce que Celian lui en avait raconté, il n’y en avait pas de bonne ou de mauvaise. Mais les dernières conversations qu’elle avait entendues à bord du train abondaient dans le sens inverse, comme si un aura propre flottait autour de chaque groupe. Une sorte d’unité et de solidarité que l’on trouvait chez certains élèves plus âgés et pas d’autres, des regards chaleureux et des paroles encourageantes qui étaient remplacés à d’autres moments par des sourires plus traîtres et des regards inquisiteurs.
« J’en sais rien. Il y a beaucoup de différences entre les maisons ? » « Non, enfin si, mais … Je sais pas. » Tout penaud, le première année se contenta d’enfourner une Patacitrouille dans sa bouche. Mieux valait penser à autre chose qu’à la cérémonie de la Répartition.
Et pourtant, quelques heures plus tard, cette conversation repassait en boucle dans la tête d’Eve. C’était elle qui se retrouvait assise sur le tabouret deux fois trop grand pour elle, plongée dans une obscurité complète. Elle n’était plus sûre de savoir si elle préférait subir le poids d’une centaine de paire d’yeux fixée sur elle ou l’étrange atmosphère solennelle qui l’avait envahie dès lors que le Choixpeau avait été posé sur sa tête. La voix de l’objet ensorcelé parlait, parlait, marmonnant des bribes de paroles qu’elle ne comprenait pas vraiment – jusqu’à ce que la décision tombe, et que la voix tonitruante de l’artefact s’élève pour rompre la tension.
Tu seras à …***
Octobre
1971.
Le soleil matinal inondait le terrain de Quidditch. Le temps était parfait : pas un souffle de vent, un air sec, une visibilité optimale. Sous ses mains, le bois travaillé de son balai lui paraissait curieusement moite et glissant. Il n’y avait normalement aucune raison logique à cela, songea Eve qui tenta de se raisonner en vain. Le stress mélangé à l’euphorie de l’adrénaline rendait la deuxième année particulièrement intenable tandis qu’elle attendait debout parmi la file d’élèves tous plus nerveux les uns que les autres. Elle ne cessait de se hisser sur la pointe des pieds, tentant de suivre avec attention l’avancement des autres potentiels concurrents qui passaient avant elle pour devenir membres de l’équipe de Quidditch de leur maison.
Pourvu que personne ne veuille être batteur, pourvu que personne ne veuille être batteur … priait-elle naïvement.
Sans qu’elle ne le réalise, une main la poussa un peu en avant, signe qu’il était temps qu’elle fasse ses preuves. Eve sentit ses pieds la guider sans que son cerveau n’en ait donné l’ordre. Elle avait l’air d’un robot un peu rouillé mais elle s’en fichait pas mal, bien trop concentrée par l’importance de ces sélections. Il fallait qu’elle soit à la hauteur et il fallait qu’elle décroche absolument sa place. Devant elle, installés à ce qui semblait être un bureau de jury improvisé sur la pelouse pour l’occasion, le capitaine et un autre de ses coéquipiers faisaient signe au jeune garçon qui descendait justement de son balai, rouge comme une tomate, de rejoindre les gradins. Sa prestation était finie – et apparemment il semblait qu’elle n’avait pas été fameuse, une belle trace de Souafle ornant sa joue droite. Le ventre de la petite blonde se tordit d’inquiétude tandis que son cœur trépignait d’impatience de pouvoir décoller.
« Ton nom ? » demanda le plus âgé des deux joueurs, lui accordant un bref coup d’œil un peu méfiant. Evidemment, elle aurait du s’en douter. Une petite nabot d’à peine douze ans et demi qui ose se présenter pour intégrer leur équipe, ça devait davantage relever de l’amusement que du sérieux. Néanmoins la sang-mêlée n’était pas prête à se dégonfler et elle se redressa donc pour mieux faire face aux autres. Sans peur, sans reproche.
« Millerfield, Eve. » Elle avait donné l’intonation la plus assurée qu’elle pouvait à sa voix, ce qui ne suffisait pas atténuer la perplexité qui se lisait sur certains visages dans la maigre foule venue suivre cette séance spéciale. Le bruit de la plume qui crissait sur le parchemin s’arrêta.
« Et tu postules pour … ? » La réponse fusa, sans l’once d’une hésitation.
« Le poste de batteur. » Eve ne manquait pas d’aplomb, et cela déclencha quelques gloussements et sifflets d’admiration.
Le capitaine hocha la tête, pensif, avant de lui faire signe de se tenir prête.
« Très bien, voyons ce que tu vaux sur le terrain ! » Eve resserra la prise sur son balai avant de se diriger vers la zone de décollage temporairement matérialisée. Le capitaine, lui, s’était levé pour s’avancer vers la malle où s’agitaient frénétiquement l’un des deux premiers Cognards qu’elle serait chargée de stopper. Voir la balle aux reflets métalliques vibrer sous les sangles de cuir fit vibrer quelque chose en elle, presque autant que ce chuchotement anonyme qu’elle capta sur son passage.
« Je lui donne pas cinq minutes. »Elle était prête à tout donner.
***
Avril
1975.
Des éclats de voix attirèrent son attention. Elle qui sortait tout juste d’une heure de colle pénible et qui rêvait seulement de se retrouver au calme à profiter de l’extérieur se retrouva irrépressiblement appelée par la curiosité. En tendant l’oreille, les timbres qu’Eve identifiait appartenaient à deux garçons et à une fille, ce qui n’aurait rien eu de très inquiétant si elle n’avait pas la sensation que ce qui se passait à quelques mètres d’elle n’était pas un échange des plus amicaux.
« Tu devrais même pas être à Poudlard. Les gens comme toi, ils devraient être reniés du monde sorcier ! » perçut si distinctement la jeune fille qu’elle accéléra le pas pour se retrouver bien plus vite que prévu face aux trois élèves.
Ceux-ci, dos tournés à l’anglaise, avaient tout l’air de bien s’amuser. Ils avaient coincé une quatrième année, manquant sans doute de divertissement pour l’après-midi et n’avaient visiblement rien de mieux à faire qu’à jouer les caïds de service. Typiquement des abrutis, soupira une petite voix intérieure tandis que la blonde se raclait la gorge.
« Hey ! Je vous dérange ? »L’un des deux se retourna, les sourcils froncés et la mâchoire crispée indiquant qu’il n’avait pas prévu de convier qui que ce soit à leur petit harcèlement et qu’ils étaient bien peu disposés à laisser une
fille s’opposer à eux. Des héroïnes de pacotille comme elles, ils s’en passaient volontiers.
« Laisse tomber, toi ! On s’occupe d’une débile, c’est pas tes affaires. » balaya le jeune sorcier d’un revers dédaigneux de la main. C’était sans compter sur l’insistance de Millerfield qui avança encore d’un pas et rétorqua, sans se démonter.
« C’est toi qui es débile. Qu’est-ce que ça peut te faire que sa famille soit moldue ? » S’il y avait bien une chose qui était capable de la faire sortir de ses gonds en un éclair, c’était les critiques de bas étage sur les moldus. Elle n’était pas connue pour se laisser faire, encore moins par deux idiots qu’elle avait fini par reconnaître comme étant des sixièmes années.
Puisque son acolyte ne semblait pas apte à pouvoir chasser une demoiselle de leur territoire de chasse, le second énergumène se retourna à son tour pour jauger Eve d’un air narquois et aller au devant, une moue suffisante plaquée sur son visage. Une parfaite petite tête à claque.
« On t’a sonnée, la traîtresse à ton sang ? » Eve se mordit violemment la joue : si elle avait réussi à détourner leur attention de la pauvre fille qu’ils ennuyaient, c’était maintenant elle qui finissait sous les projecteurs – et force était de constater qu’elle allait avoir bien des difficultés à les affronter. Mais la colère prit le pas sur la raison, l’impulsivité parlant pour elle comme à chaque fois.
« La quoi ? Répète un peu ? » rugit Eve, dégainant sa baguette presque en un éclair.
Des rires fusèrent de la part des deux garçons, qui observèrent l’arme magique pointée sur eux.
« Houuu, c’est qu’elle nous menace la petite Millerfield ! » fit remarquer le premier, goguenard.
« T’es même pas une vraie sorcière, t’arriveras pas à me lancer de sort ! » Plus il parlait, moins Eve parvenait à se contenir et à réprimer l’envie foudroyante qui la prenait de lui balancer à la pele tous les sortilèges qui défilaient dans son esprit. Ce type avait l’incroyable faculté de l’énerver rien que par la parole et ça, c’était très mauvais signe pour lui.
« Vas-y, essaie ! Avec un peu de chance tu vas toucher ta Sang-de-Bourbe de petite copine ! »La goutte de trop. Le regard aigue-marine de la blonde se durcit, sa main s’abaissa lentement, lentement, pour que finalement sa baguette retourne dans la poche de sa cape. Sa voix, sourde, gronda.
« T’as raison, la baguette c’est pas une bonne idée. » Sans prévenir, elle se jeta au cou du jeune homme pour lui envoyer une gifle – ni l’un ni l’autre ne l’avaient vu venir. Tant pis pour les représailles.
***
Décembre
1976.
« Miss Millerfield, dans dix minutes nous allons terminer votre rendez-vous et vous n’avez toujours pas parlé. »Un silence parfait régnait dans le bureau du psychomage. Eve observait ses ongles avec une attention accrue, relevant finalement le menton vers le quadragénaire.
« Ah oui ? Le temps passe vraiment vite quand on s’ennuie. » L’ironie de la remarque, à peine voilée, laissa de marbre son interlocuteur.
« Peut-être qu’en discutant, les choses iraient plus rapidement. » Bien sûr. Comme à chaque fois depuis qu’elle avait été obligée il y a peu par sa mère de suivre ces séances régulières, la jeune fille avait droit au cérémoniel habituel où le spécialiste tentait comme à chaque fois de la faire parler. La faire parler, à quoi bon ? Chacune de leur discussion ressemblait à s’y méprendre à un duel laborieux et se soldait par un mur qu’Eve s’acharnait à construire entre eux.
La sixième année soupira, étirant ses jambes pour se débarrasser de l’engourdissement qui s’installait.
« Vous savez quoi ? Ces séances ne servent à rien. »« Votre mère semble penser le contraire. Elle dit que ça pourrait vous permettre de vous libérer d’un poids. Ou même régler les problèmes que vous avez. »La jeune femme ravala le rire cynique qui lui brûlait les lèvres.
Les problèmes. Quelle belle, polie et samaritaine façon de voir les choses. Sa kleptomanie n’était pourtant à ses yeux pas tant un souci pour elle que les menaces de plus en plus pesantes qui oppressaient les sangs-mêlés et nés-moldus – les faits divers qui commençaient à naître dans la presse sorcière avaient de quoi faire froid dans le dos. Comme une curieuse coïncidence, cette tendance à voler tout et n’importe quoi pour le simple fait de ressentir un frisson d’excitation avait commencé à voir le jour il y a quelques mois, presque en parallèle. Peut-être un an tout au plus ; le premier vol qu’elle avait commis lui paraissait flou. Eve ne savait plus faire la différence entre la plume qu’elle empruntait en cours et qu’elle oubliait de rendre et le Rapeltout de son voisin qu’elle retrouvait quelques heures plus tard niché dans son sac. Ses mains ne lui appartenaient plus vraiment dans ces instants-là, et s’en rendre compte rendait la chose encore plus absurde. Elle n’était pas une voleuse, se persuadait-elle depuis le départ, ou du moins elle ne le faisait ni pour l’aspect financier, ni par plaisanterie : le déni l’avait poussée à se convaincre que ce qu’elle faisait n’était rien de très grave ni très significatif tant que ça ne devenait pas plus
important. Ce qui était pourtant en train de se produire depuis que la blonde avait dérobé des objets de plus en plus souvent. Plus elle y parvenait, plus la satisfaction était forte, intense et instantanée – suivie de ce rebond nauséeux de culpabilité et d’incompréhension. Cette manie que la jeune anglais se refusait obstinément à qualifier de maladie avait fini par être suspectée, à force de plaintes et de suspicions. L’affaire était remontée suffisamment haut et l’inquiétude générée chez sa mère avait été telle qu’Eve n’avait eu d’autre choix de se soumettre à l’avis professoral et parental – et voilà qu’elle se retrouvait à consulter toutes les deux semaines un médecin supposé lui désapprendre à voler.
La voix du psychologue la rattrapa, lointaine.
« Qu’est-ce que vous en pensez ? »Eve soupira, se frottant les yeux comme on sortait d’un mauvais rêve.
« Que c’est une perte d’argent et de temps. Le ton était péremptoire.
Avec tout le respect que j’ai pour mes parents, ils ont tort s’ils pensent que je vais vous raconter ma vie. On ne se connaît pas. Je vous dois rien de tout ça. »« Donc pour vous ces séances impliquent un échange équitable ? »« Oh pitié, arrêtez ça. »Le psychomage haussa un sourcil, une pointe d’amusement transparaissant presque au travers du masque d’impassibilité qu’il se composait habituellement.
« Quoi ? »« De faire comme si vous essayiez de comprendre ce qui se passe là. »Elle tapota sa tempe de l’index avant de finalement se tourner pour mieux faire face au médecin.
« Vous savez quoi ? Vous êtes des charlatans, vous les psychologues. Vous arrivez très bien à foutre le bordel chez vos patients en posant des tas de questions qui nous embrouillent. En me faisant parler de mes souvenirs d’enfance, en me parlant de ces espèces d’histoires d’ancre personnelle que je dois me trouver. Et tout ça c’est censé être thérapeutique ? C’est supposé me faire arrêter de voler des trucs ou me faire sentir mieux ? » On sentait dans les mots d’Eve qu’elle n’y croyait absolument pas. Elle éprouvait déjà toutes les peines du monde à parler à cœur ouvert à ses amis, à se confier sur la peur aussi irrationnelle qu’irrégulière de se sentir trop jeune et trop faible pour s’assurer que sa moldue de mère ne risquait rien et que son sorcier de père non plus. Elle ne voyait pas comment se confier à un parfait étranger pouvait l’aider de quelque manière que ce soit. Peu importe ce que pouvait bien penser Beth.
« Voyez plutôt ça comme un exercice. Et si vous souhaitez qu’il vous fasse sentir autrement – » commença l’homme avant de se voir couper l’herbe sous le pied par la jeune fille qui se renfonça dans son siège et croisa les bras. Une posture fermée qui n’indiquait rien de bon.
« Ok c’est bon. J’ai compris. Je crois que je préfère quand on se taisait tous les deux. »